S’il est un concept psychanalytique, qui depuis maintenant quelques années fait parler de lui, c’est bien celui de perversion narcissique, avec ce que cela comporte de bon et de moins bon, tant il est vrai que ce terme est si fréquemment galvaudé ou mal compris. Aussi me semble-t-il utile de revenir quelque peu sur sa définition.
On qualifie de perversion narcissique, un aménagement spécifique de la personnalité, qui il faut bien le dire, n’a rien de réjouissant.
Il revient à Paul-Claude Racamier (psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial, qui exerçait principalement avec des patients souffrant de troubles psychotiques et de schizophrénie), le mérite d’avoir su identifier et théoriser, ce mode relationnel tout à fait singulier, que l’on retrouve effectivement si souvent parmi les familles des patients les plus tourmentés, qu’ils soient psychotiques ou borderline plus ou moins sévères.
De façon résumée, on pourrait définir la perversion narcissique, comme une organisation de la personnalité ainsi que d’un mode relationnel, hautement pathogène, caractérisés par une habileté certaine à faire effraction dans le psychisme d’autrui, à y attaquer les fondements du sentiment identitaire ainsi que du narcissisme, y semer trouble, confusion, sidération du sens, déliaison, parésie du jugement, démontage des émois et des affects, expulsant chez la victime, les blessures narcissiques ou conflits que le pervers ne peut supporter en lui, tout cela sur fond d’ego surdimensionné et pathologique.

Cette agression du narcissisme d’autrui se fera par le biais de nombreux moyens ou techniques, comme la manipulation, la disqualification, l’injonction paradoxale (double-bind), la dévalorisation, l’humiliation, la calomnie, le discrédit, le gaslighting (le désaveu des éprouvés, émotions, sentiments ou perception d’autrui), la projection (imputer à l’autre des choses qui nous appartiennent), la substitution au lien, de la ligature, dans un jeu serré de disqualifications, sous-entendus, contre-vérités, impasses paradoxales…
Bien sûr, ces manœuvres de déstabilisation dans un premier temps, puis de désorganisation dans un second temps, du psychisme de la victime, se mettront en place de façon insidieuse et subtile, via des messages a double sens, des sous entendus, au travers d’une communication souvent floue, suffisamment claire pour que le récepteur en saisisse le message, suffisamment floue pour que le pervers puisse nier les intentions que sous-tendent le message.
De façon plus spécifique, on pourrait dire, que la perversion narcissique procède d’une double visée, qui est à la fois anobjectale et aconflictuelle.
Anobjectale, car le pervers est dans le déni de l’altérité, de l’autre, de sa valeur, de son narcissisme légitime, de sa pensée, ses émotions, ses désirs, de son intelligence. L’autre est objectalisé, chosifié, instrumentalisé.
Aconflictuelle, car ne pouvant supporter ou tolérer la moindre blessure narcissique, le moindre conflit interne ou travail de deuil, le pervers n’aura de cesse à expulser chez autrui, ce qu’il ne pourra tolérer en lui. Et c’est bien cette expulsion, pour ne pas dire cette injection, qui agira de l’intérieur, tel un poison certes lent, mais parfois léthal, et au combien pathogène.
Il importe aussi de souligner, l’incapacité foncière du pervers narcissique à l’empathie (évidemment l’autre est « chosifié », instrumentalisé, dépossédé de ses qualités propres), ainsi que son imperméabilité au sentiment de culpabilité.
Aussi faudrait-il évoquer la propension manifeste du pervers à la transgression, de la transgression des espaces psychiques comme évoqué plus haut bien sûr, mais aussi des lois, sur un plan légal comme moral, de l’inclinaison au mensonge, aux contre-vérités…
Ce penchant pour la transgression s’exprimera aussi dans la sexualité, tant il est vrai que les pervers ont très généralement une sexualité débridée, compulsive, et déviante. La réciproque n’est cependant pas vraie, les pervers sexuels ne sont évidemment pas nécessairement pervers narcissiques, même si ce chevauchement est fréquent.
Pour conclure, il importe de ne pas confondre la perversion narcissique avec ce que l’on qualifie de personnalité narcissique, cette dernière constituant une sous-modalité du trouble borderline.
