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La schizophrénie est l’un des modes de décompensation psychotique, probablement le plus grave, de par son caractère souvent extrêmement invalidant. Puisant son étymologie du grec schizo = scission, phrénie = esprit, elle se caractérise par un délitement de la pensée, une rupture des chaines associatives, accompagnée d’une perte de contact avec la réalité. Cette perte de contact avec la réalité se traduit le plus souvent par son cortège d’hallucinations ou de délires. Ces hallucinations peuvent être auditives, visuelles, cénesthésiques (qui désigne les sensations physiques)… Le plus souvent les symptômes apparaissent au début de l’âge adulte, et peuvent être consécutifs tantôt à une situation traumatique, tantôt à une situation plus anodine, mais que le sujet ne peut appréhender psychiquement (deuil, naissance d’un enfant, bouleversement professionnel, rupture amoureuse …).

D’un point de vue factuel, la schizophrénie s’accompagne le plus souvent d’un repli sur soi, d’une tendance à la désociabilisation, d’un désinvestissement des activités usuelles. Parmi les symptômes les plus fréquemment rencontré, on retrouve notamment une « dissonance » ou « disharmonie » plus ou moins généralisée. Il peut s’agir d’un décalage entre l’émotion éprouvée et ce qui est exprimé, mais aussi d’une discordance gestuelle (gestuelle étrange, non coordonnée, dénuée de sens par rapport au contexte…), d’un décalage entre une situation et la réaction du sujet à celle-ci… De façon plus fondamentale la problématique schizophrénique se caractérise par une perte du sens (sens des choses, sens de la vie, sens identitaire…).

Les causes de la schizophrénie sont quant à elles l’objet de nombreux débats, parfois houleux, entre cognitivistes, psychanalystes, psychiatres… Si le facteur génétique semble certain (comme pour à peu près n’importe quelle pathologie, où l’hérédité est susceptible d’avoir un rôle favorisant ou non), le débat fait rage entre les défenseurs d’une cause purement biologique, et ceux qui mettent en avant les vicissitudes environnementales, familiales, voire sociétales. Il semble sage de n’exclure aucune de ces hypothèses, et de considérer la décompensation schizophrénique comme le télescopage entre une prédisposition génétique et un environnement pathogène. Quant à la cause biologique, la question demeure de savoir dans quelle mesure l’état émotionnel et psychique détermine le dérèglement biologique, ou le contraire. Les causes psychologiques de la dépression génèrent divers dérèglements au niveau biologiques, notamment au niveau de la sérotonine et de la dopamine, ce n’est pas pour autant que l’on impute à la biologie la cause de la dépression. L’explication purement biologique me semble de ce fait relativement stérile, puisqu’il est évident que chaque état émotionnel a ses répercussions biologiques.

Dans une perspective psychanalytique, on associe l’état schizophrénique a un stade extrêmement précoce du développement du « Moi ». Il témoigne d’un état non advenu de l’identité, d’une incapacité du sujet à se construire psychiquement, comme sujet individué et différencié. La clinique nous apprend que très souvent cette incapacité à s’individuer s’explique par un environnement familial souvent inadéquat voire toxique. Paul-Claude Racamier ayant exercé de nombreuses années dans le cadre de thérapies familiales du sujet schizophrène, a en ce sens apporté un éclairage très intéressant, en articulant la schizophrénie au concept de perversion narcissique. L’un serait en réalité l’envers de l’autre. Le jeune schizophrène souffrirait dans le fond de la perversion du lien de ses proches, le plus souvent d’un parent. La mère perverse par exemple, ne pouvant accepter l’émancipation de son enfant, l’entretiendrait inconsciemment dans une position impossible à tenir, position abolissant les conditions nécessaires à l’individuation de l’enfant. On retrouve ce point de vue chez Piera Aulagnier, qui a décrit avec beaucoup de finesse les modalités d’ « asphyxie » psychique de l’enfant par sa mère, celui-ci se trouvant pris en étau entre le besoin de renier sa propre pensée pour ne pas perdre l’amour de sa mère, et son besoin d’émancipation, insupportable pour celle-ci. Cette perversion du lien est complexe et subtile, mais au combien puissante et destructrice. On retrouve grand nombre de ces mécanismes en milieu sectaire, expliquant l’incroyable efficacité avec laquelle certains « gourous » éminemment pervers, parviennent à endoctriner et à arracher les adeptes d’une réalité communément partagée, et ce malgré une croyance affichée des plus invraisemblables. Il serait une erreur de penser que ces adeptes soient nécessairement faibles et influençables, une entreprise perverse suffisamment bien menée serait susceptible d’ébranler n’importe quel esprit bien bâti.

Parmi les nombreux mécanismes de désubjectivation, on peut par exemple citer le double-bind (double contrainte), injonction paradoxale abolissant par essence le sens, et enfermant le sujet dans une situation impossible. A titre d’exemple « prends des initiatives! », ou « sois spontané! », voici deux injonctions impossible à honorer. Celui qui suite à l’injonction première prendrait une initiative, ne serait plus vraiment dans la prise d’initiative. Ces exemples peuvent prêter à sourire, et l’on peut de prime abord douter des effets dévastateurs de ce mode de communication pathogène. Il importe de comprendre que certaines familles, ou certains parents, enferment dans un climat permanent de paradoxalité et de non-sens leur enfants, et que cette paradoxalité n’est pas nécessairement verbale, elle peut être comportementale (une mère couvrant son enfant quand il a faim, ou le nourrissant quand il a froid), affective, et s’avérer d’autant plus toxique, que l’enfant y étant exposé est jeune. Face à la grande variété de symptômes schizophréniques, il est cependant important d’envisager dans un premier temps tout diagnostic différentiel, et d’évincer toute cause neurologique. En effet, la psychiatrie tendant à classifier les pathologies plus fonction de leurs symptômes, que des ressorts inconscients qui les sous-tendent, il serait judicieux de distinguer différents types de schizophrénies, toutes ne présentant probablement pas les même causes, certaines répondant peut-être quant à elles à des causes plus biologiques que psychiques. Précisons aussi que la consommation de drogues ou psychotropes, est susceptible de déclencher une décompensation schizophrénique. La consommation de cannabis est à titre d’exemple, un élément plus que souvent retrouvé chez nos patients schizophrènes.